Auteur : David Grossman.
Titre : Une femme fuyant l'annonce.
Résumé :
Ora, une femme séparée depuis peu d’Ilan, son mari, quitte son foyer de
Jérusalem et fuit la nouvelle inéluctable que lui dicte son instinct
maternel : la mort de son second fils, Ofer, qui, sur le point de
terminer son service militaire, s’est porté volontaire pour « une
opération d'envergure » de 28 jours dans une ville palestinienne,
nouvelle que lui apporteraient l’officier et les soldats affectés à
cette terrible tâche.
Mais s’il faut une personne pour délivrer un message, il en faut une
pour le recevoir, pense Ora. Tant que les messagers de la mort ne la
trouvent pas, son fils sera sauf. Aussi décide-telle, sans aucune
logique, pour conjurer le sort, de s’absenter durant ces 28 jours en se
coupant de tout moyen de communication qui pourrait lui apporter la
terrible nouvelle. Ayant prévu une randonnée à travers le pays avec
Ofer, elle part malgré tout.
Au passage, elle arrache à sa torpeur Avram, son amour de jeunesse (le
père d’Ofer ?) et l’emmène avec elle sur les routes de Galilée pour lui
raconter leur fils. Elle espère maintenir en vie son enfant par la trame
de mots qui dessinent sa vie depuis son premier souffle, et lui éviter
ainsi le dernier. Le périple ici est l’occasion d’évoquer le passé : à
mesure qu'Ora et Avram arpentent le pays à la beauté étonnante, se
reconstitue le fil de la mémoire et des secrets qui enserrent les
personnages.
Ora, Ilan et Avram s’étaient liés, adolescents, pendant la guerre des
Six Jours, dans un hôpital où ils étaient tous trois à l'isolement,
alors que les combats faisaient rage à l’extérieur. C’est là que se sont
noués les destins de chacun. Le stratagème de la mère réussira-t-il à
préserver la vie du fils ? Quoi qu’il lui arrive, le récit le fait
renaître avec une vigueur nouvelle.
* * *
Je tiens d'abord à remercier le site Livraddict et les éditions Points pour ce partenariat.
Je suis restée plongée dans Une femme fuyant l'annonce pendant presque un mois. Il faut dire que le livre est quand même assez épais (près de 800 pages) et que le sujet abordé n'a rien de bien léger. C'est la première fois que je mets autant de temps pour finir un bouquin. En général, lorsque ma période de lectures s'étend, j'ai tendance à être gagnée par la lassitude. Avec Une femme fuyant l'annonce, il y a eu des hauts et des bas, mais surtout des hauts, bien heureusement.
Ora se faisait une joie de préparer le voyage qu'elle allait entreprendre avec son fils, Ofer, dès la fin de son service militaire. Mais celui-ci l'étonne en refusant sa liberté et en s'engageant pour une opération au front qui durera un mois. Ora se sent trahie par son fils et est ravagée par la peur de le perdre. Elle décide de voyager, s'éloigner de sa vie habituelle, pour se remettre en question. Durant son parcours, elle coupera tout moyen de communication, refusant d'être informée si jamais un malheur arrivait à son fils. Accompagnée d'Avram, son amour de jeunesse avec qui elle a une relation des plus ambigües, Ora se recompose et fuit tout simplement l'annonce...
L'histoire d'Ora est une page blanche, au tout début du récit. L'auteur livre peu de détails sur l'existence de cette mère israélienne, récemment divorcée. Au cours de la narration, le livre de la vie d'Ora se remplit peu à peu, nous livrant des passages sur sa jeunesse, son quotidien de femme puis de mère, sa relation avec ses proches... Subtilement, Grossman nous rapproche de cette femme qu'il a façonnée d'une manière très "humaine". Ora est physique et respire la réalité. Elle aussi a des doutes et a du faire tout au long de son existence des choix dont certains l'ont déçue et qu'elle regrette. Ses défauts sont nombreux, ses qualités non moindre. Elle a fait des erreurs ; elle a jugé des personnes et a été jugée. Elle a ses petites manies, ses petits rituels pour se convaincre que "tout va bien". Elle ressemble à chacun de nous. Elle aurait pu être n'importe qui de notre entourage. Il n'est donc guère difficile de s'attacher à elle. De l'adopter.
Parce que, oui, j'ai adopté Ora. Si je l'ai suivie au tout début avec incompréhension, voyant mal le fait qu'elle ait abandonnée la cause de son fils, j'ai fini par me mettre à sa place. Elle a une grande force morale puisqu'elle refuse tout simplement de rester inactive alors que son fils se met en danger. Sincèrement, Grossman m'a fait sentir mère à mon tour, au fil de son récit.
Si l'histoire est essentiellement centré sur Ora, ce personnage prend plus d'une fois la place du narrateur pour nous livrer son histoire et celle des siens. Au cours de son voyage avec Avram, la femme partage avec son compagnon des bribes de sa vie, celle de son ex-mari, de ses enfants. En quelque sorte, les places que tiennent les personnages sont équitablement réparties, par ce procédé. Même s'ils sont absents, les autres protagonistes font partie du voyage grâce aux récits de notre héroïne.
La narration est très bien maîtrisée. L'auteur joue avec les récits enchâssés et traverse le temps en un claquement de doigts. Plusieurs passages de différentes époques de la vie d'Ora, d'Avram, d'Ofer... nous sont livrés tout au long de l'histoire. La toile, initialement blanche, se couvre progressivement des scènes que partage Ora avec nous. En sillonnant les années, nous en apprenons plus sur les protagonistes et évaluons l'impact des évènements sur leurs caractères, leurs rythmes de vie.
Le plus grand atout de l'auteur est certainement sa capacité de se mettre dans la peau de ses personnages. Les émotions sont minutieusement décrites, autant en ce qui concerne Ora que pour les autres personnages. En général, l'écriture de David Grossman est à louer. Le style de l'auteur permet une lecture fluide, ce qui compense le nombre conséquent de pages. J'ai été fort impressionnée par sa capacité à rendre les dialogues aussi vivants. Certains passages m'ont vraiment enchantée et durant certaines périodes, il m'était difficile de reposer le livre.
L'essentiel de l'action se passe au passé. Le présent est plutôt monotone.. J'ai trouvé ce procédé particulier et je l'ai beaucoup apprécié. C'est comme le présent était un châssis pour aborder le passé. De plus, l'auteur dispose vraiment d'une très grande imagination. Les récits sont tous plus originaux les uns que les autres. Réellement, Grossman a trouvé un moyen astucieux de présenter son histoire.
Néanmoins, j'ai quand même trouvé certains passages assez durs. Le service militaire d'Avram, un passage vers la fin du livre, a vraiment eu raison de moi. J'ai scrupuleusement sauté une dizaine de pages, n'étant pas amène à m'y plonger. Ca n'a pas gêné ma lecture, fort heureusement.
A part ce petit désagrément, je ne vois que du positif dans ce livre. Même si le genre contemporain est loin d'être mon favoris, je dois avouer que j'ai passé un très bon moment de lecture. La cause palestinienne est proche à mon coeur, avoir un point de vue israélien fut très intéressant. Cette lecture m'a démontré toute l'absurdité de ce conflit où les deux parties souffrent et qui n'est toujours pas prêt à se terminer..
A noter : Le livre a reçu le
prix Médicis étranger 2011 ainsi que le prix du Meilleur Roman des lecteurs de Points 2013.
Note : 8/10
Citation :
[...]Ça signifie quoi une vie sans but ?
Que... Rien ne te blesse vraiment, rien ne te rend réellement heureux. Tu vis parce que tu vis. Parce que tu n'es pas mort.